DE LA TECHNIQUE

L’atelier sculpture
À l’intérieur de l’atelier de sculpture, je trace les épures, je taille la pierre et je la révèle. Les roches sculptées sont choisies pour leur polarité et composition chimique. Par exemple, un marbre blanc de Carrare est constitué de calcium comme nos os sans la protéine, un grès de silice.
La pratique et la discipline du geste sur la pierre ou le marbre m’appellent à un flux méditatif. Mon travail est un dialogue, une cocréation avec l’Univers qui chemine vers une rencontre. Un rendez-vous avec une intention juste pour faire co-naître une force agissante, une énergie que l’on appelle l’Amour.
Chaque création a nécessité une vie de préparation, à ne pas faire résistance au passage de l’information intérieure.

Faire descendre l’esprit dans la matière
La sculpture est l’art le plus matériel. Quand, je vais à la recherche de la matière, le choix d’une roche est de l’ordre de la relation amoureuse. C’est un rendez-vous que je ne veux pas manquer, je suis dans la dimension de celui qui découvre pour la première fois.
De la conception à la réalisation, je passe par le berceau d’une matrice géométrique. Je trace le premier cercle avec sa croix cardinale. Je prépare mon cœur à œuvrer avec la pierre, je me prépare à faire descendre l’esprit dans la matière.

L’expérimentation de mon corps
Afin de ne pas couper la relation Terre-Ciel, mes sculptures sont d’un seul bloc de pierre ou de marbre, des monolithes. Si je ne peux pas faire autrement, je crée un lien énergétique entre les pierres. Comment ?
Je prends le temps de me concentrer sur la présence des grès, des marbres, des granits issus des carrières de notre Terre. Il se dégage dans mon corps la polarité de la roche et le nord de forme par un effet que je reconnais. C’est avec l’expérimentation de mon corps que je suis devenu sculpteur. Une forme me parle.

Dans la beauté, je marche
La pratique et la discipline du geste sur la pierre, sur le marbre, le granit, engagent tout l’être. Une connaissance, l’intuition, une vision guident lors de toutes les étapes de l’élaboration de la sculpture. Je chemine avec la matière, je rencontre l’esprit.
Avant de sculpter, je trace ce que je veux réaliser dans la matière. La géométrie est d’abord tracée au compas et à la règle. Je trace en conscience les épures. À la toute la fin, léger, je libère la couleur, la transparence de la roche avec le polissage à la main comme l’eau et le vent érodent nos falaises, nos galets de rivière.
Pour résister à l’usage, une encaustique de cire d’abeille nourrit et protège la pierre sur les plans physiques et énergétiques. Chaque pierre est unique, l’aspect change selon les veinures et livre sa singularité. Dans mes tiroirs, un ouvrage témoigne de la beauté qui passe, de l’âme d’un atelier avec la matière, la lumière et l’homme.

Mon corps comme mesure
Pour trouver la pierre en adéquation avec le projet, je dois connaître sa taille, le bloc capable de recevoir mon idée-semence. Par exemple pour une assise, je vais étudier les positions du squelette, l’anatomie humaine. Comment se positionne le corps pour aligner correctement la colonne vertébrale. C’est l’ergonomie, l’anthropométrie. L’enseignement d’un ostéopathe praticien de yoga, et d’un moine zen, m’a indiqué la posture pour vivre l’assise et respirer avec pleine conscience.
Le résultat est une hauteur d’assise qui varie de 34 à 36 cm avec une base stable par son piétement central. Toutes ces données permettent de positionner le dos droit, les genoux légèrement au-dessus ou dans l’axe du bassin, quelle que soit sa taille. Le plateau de l’assise s’inscrit dans un cercle de 35 cm de diamètre, mais semble ovale avec sa forme de coupe légèrement inclinée afin de poser correctement ses ischions, ses fesses.

Des rapports de proportions
Je viens de décrire l’assise en mesure métrique, mais au départ, j’ai procédé autrement. Les mesures du corps humain déterminent une trame géométrique précise. Mon corps fait aussi mesure, il possède des rapports géométriques, d’ailleurs les civilisations anciennes considèrent « le corps comme un temple ». L’homme de Vitruve, repris et dessiné par Léonard de Vinci, annote soigneusement les rapports de proportions. Les mesures comme la paume, la palme, l’empan, la coudée, le pied se manifestent aussi dans le cercle, un pentagone étoilé. Dans ce dessin de l’être humain dans un cercle et un carré, bien d’autres rapports sont pointés du doigt. Est-ce un cercle de quadrature périmétrique, surfacique, de transformations ? Quel est le rapport de la constante du cercle PI et de PHI ? Autant de noms que de seuils énergétiques de qualités différentes à découvrir avec leurs centres pointés sur le corps. Avec un compas et une règle, c’est simple, j’ai des rapports de proportions, une pure géométrie, sans chiffre qui me guide et que je relève avec des « piges ». Je ressens les effets, avec ce que je fais là où je suis, j’ai pigé.

Mesures solaires
La Terre aussi donne la mesure avec la fréquence de Schumann et le mètre. Le mètre a été retrouvé à la Révolution Française à partir d’une fraction du méridien de la Terre, mais simplement avec un bâton et le rayon solaire, nous pouvons lire l’ombre et établir des mesures. Dans l’espace d’un lieu se trame la mesure solaire, c’est une forme organisatrice du lieu. Ces coudées et modules solaires déterminés en fonction de la latitude du lieu et de la position du soleil. Je relève quelques dates remarquables, solstices, équinoxes, dates de naissance et je les utilise comme mesures de base de mon travail. Ce que nous considérons comme un secret est un manque de connaissance.

Quelles mesures choisir ?
Toutes les mesures sont imprécises, par exemple notre œil crée des illusions optiques. Il est important d’en tenir compte, de rectifier les mesures selon la perception du corps humain. En sorte, j’ajuste en laissant un joint de dilatation à notre esprit.
Afin que ma pierre demeure vivante, j’utilise conjointement plusieurs systèmes de mesures. Une corrélation de plusieurs éléments, un rapport entre le cercle et une suite d’addition particulière, un rapport solaire lié à la latitude du lieu, la mesure d’une goutte d’eau sur une surface lisse, de ma main, pourquoi pas ?
Je ne m’arrête pas au seul mètre étalon lié à la circonférence de la Terre. Je fais mon choix selon ma sensibilité, le projet. Je choisis mon module et les rapports naissent d’eux-mêmes avec le compas et la règle.
Une fois définies, les mesures déterminent une figure géométrique, une grille de tracés précise. Ces tracés régulent les profils, l’élévation et les formes : un quadrilatère, une ellipse particulière et le nombre des côtés d’un polygone engendrent les motifs de par eux-mêmes, ainsi, comme l’Univers.

J’ai mon épure
Je trace la figure originelle, elle engendre une réplication interne d’une triple enceinte. J’identifie l’énergie, je positionne la base de l’assise sur le plan (rose). Une grille de 36 carrés émerge. Merveilleux, je vois le 9, le 18, le 36, ça me parle de tout ce que nous avons énuméré plus haut. Je monte l’élévation avec les épannelages (violet). Je remarque des suites d’addition, certaines sont proches d’un rapport universel appelé Phi ou Pi. Une diagonale vaut √2, √3, √5 par rapport au rayon égal à 1. Mais a-t-on besoin des calculs à ce stade ?
Nul besoin de vérification mathématique, si cela vous rassure vraiment, d’accord, mais attention à ne pas se couper du ressenti, de ce qu’il se passe lorsqu’on pose un acte. Bien sûr, il y a des formules, des techniques, mais si l’on raisonne au lieu de résonner, la coupure, le sectionnement du vivant est imminent. Tout cela fonctionne selon le terrain, la matière. Ici, par exemple au-delà du symbolique, j’incruste une pierre semi-précieuse au centre, sur le point unique qui reçoit la pointe de compas et qui a généré le plan de l’assise et quelque chose se passe !

L’atelier poussière
En résumé, avant de passer le seuil de l’atelier, de rencontrer ma pierre à tailler, je prépare mon cœur à sculpter. J’explore la géométrie de l’Univers, les cristaux, les fleurs, les plans des cathédrales et ses roses, les sons et la trajectoire des planètes. Quand j’élabore ces tracés énergétiques, je fais déjà descendre l’esprit dans la matière. C’est de la poésie, « poiêsis » pour les Grecs signifie « création », du verbe poiein (« faire », « créer »). Je suis enthousiaste, c’est divin. Afin de déployer les possibilités de mes créations, cette étude approfondie est essentielle. Cette géométrie est une interface entre la conception et la mise en œuvre dans la matière. Les tracés régulateurs permettent de créer une géométrie opérative, c’est-à-dire de mettre de l’ordre dans la matière, d’éloigner le chaotique.
Maintenant c’est le bon moment, je suis mûr. Ma pierre est posée sur mon plan de travail, je l’ai bien en-tête, dans le cœur. Dans la journée, je trace le plan et l’élévation de la sculpture. Tout fonctionne, ça marche déjà sur le papier, j’ai hâte d’accoucher demain. Le soir, je m’endors avec les poules, le matin, je me lève avec le coq. Le mode opératoire a été soupesé dans les songes avant mon réveil. C’est le temps de sculpter dans l’atelier. Là, tout s’expulse dans la poussière, à la lumière.